L’humain se demande souvent le sens des choses : la vie, le travail, et quoi d’autre ? Si tout devait se limiter à cette mécanique quotidienne, à cette suite d’obligations et de tâches, cela semblerait bien vide. Pourtant, ce questionnement, aussi simple qu’il paraît, ouvre une porte vers quelque chose de plus profond, un espace où l’on cherche à comprendre et à donner un sens à ce que l’on fait. La vie, ce n’est pas seulement vivre. C’est préserver, honorer, et transcender ce qui nous entoure.
Dans les arts martiaux d’Okinawa, cette quête de sens trouve un écho particulier. Ils ne sont pas une simple recherche de force ou de supériorité technique. Leur essence repose sur un principe fondamental : Nuchi Du Takara – « Rien n’est plus précieux que la vie. » Cette philosophie, bien que répétée par tous, n’est véritablement comprise que lorsqu’on dépasse la surface de la pratique pour plonger dans ses profondeurs. Protéger la vie, et pas seulement la sienne, mais aussi celle des autres, même celle d’un agresseur, est l’un des fondements qui distingue ces arts martiaux d’autres approches plus compétitives ou agressives. Sensei Chinen m’avait un jour confié que cette approche ne s’arrête pas aux mots ou aux principes, mais qu’elle s’exprime dans chaque détail de la pratique, dans chaque geste. « Ce que tu vois dans un kata n’est pas toujours la véritable technique » disait-il, soulignant que ce qui est caché est souvent bien plus important que ce qui est visible. Cette idée m’a profondément marqué et m’a poussé à chercher dans ma pratique ce qui se cache derrière l’évidence, ce qui donne un sens réel aux formes répétées encore et encore. Les katas eux-mêmes sont une leçon. Ils ne sont pas une simple suite de mouvements ou une chorégraphie codifiée. Ils nous enseignent que la pratique est une réponse aux défis de la vie. Avancer tout en bloquant, rester ferme face à une attaque tout en respectant la vie, voilà ce que ces enchaînements symbolisent. Ce ne sont pas des exercices pour vaincre un adversaire, mais des outils pour apprendre à préserver, à rétablir l’harmonie.
Dans ce cadre, l’art martial d’Okinawa dépasse la simple technique. Il devient un art de vivre. À Okinawa, on dit souvent qu’il n’y a pas de notion de victoire ou de défaite dans les arts martiaux traditionnels. Ce n’est pas une faiblesse, mais une force. Protéger sans nuire, avancer sans écraser, répondre sans dominer : voilà ce qui en fait une voie unique. Aujourd’hui, alors que je réfléchis à ces leçons, je réalise combien elles sont pertinentes dans notre monde actuel. Dans une époque marquée par les tensions et les confrontations, ces valeurs de préservation, d’harmonie, et de respect prennent une résonance universelle. Elles nous rappellent que la véritable force ne réside pas dans la domination, mais dans la capacité à avancer avec équilibre, à respecter la vie sous toutes ses formes.
Il devient alors évident que les arts martiaux d’Okinawa, et le karaté en particulier, ne sont pas des outils pour combattre, mais des arts de non-combat. Éviter le conflit ou le résoudre de manière pacifique est une véritable force, une force que bien peu comprennent à sa juste valeur. Ce sens profond, c’est celui qui rythme les entraînements dans mon dojo, Bujinkai. Car derrière chaque geste, chaque kata, se cachent des concepts et des principes qu’il est essentiel d’expliquer et de transmettre. Pour que les pratiquants ne s’arrêtent pas à l’apparence, mais s’approprient pleinement la richesse de leur art. Leur vie, littéralement, en dépend. Et en tant que professionnel des arts martiaux d’Okinawa, je ne peux me contenter d’un cadre de loisir récréatif.
Chaque technique doit révéler son véritable sens. Chaque application doit être comprise dans sa profondeur pour être exécutée de manière précise et efficace. La maîtrise des katas ne réside pas seulement dans l’esthétique de la forme, mais dans la compréhension du fond. Sensei Chinen me répétait souvent : « Même le bœuf dans le champ transpire. » Cette expression d’Okinawa, qu’il aimait utiliser, résonne comme un rappel. La répétition, sans une recherche sincère et profonde du sens, reste stérile. Comme l’écrivait Bushi Matsumura Sokon dans le Budo no Bugei, il ne suffit pas de pratiquer : il faut comprendre ce que l’on fait. Ce n’est qu’à travers cette quête du sens que l’on peut dépasser la superficialité et transformer chaque geste en un acte véritablement martial.
Alors, en tant que pratiquants ou enseignants, posons-nous cette question essentielle : comprenons-nous réellement ce que nous faisons ? Prenons-nous le temps de chercher, d’interroger et de transcender la technique ? Ce regard critique, humble et sincère sur notre pratique, est ce qui nous permettra de ne pas simplement « faire », mais d’« être ».
Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire cet article. Mon souhait est qu’il suscite en vous non seulement une réflexion, mais aussi une motivation nouvelle pour explorer votre pratique avec plus de profondeur et de conscience. Comme un voyageur qui redécouvre un chemin familier sous une lumière différente, puissions-nous tous avancer avec curiosité et détermination sur cette voie. Très bon entraînement à tous.