Mon maître, Me Chinen Kenyu Hanshi, me parlait souvent du principe de Kyū-dō (究道), la voie de la recherche. Il me disait qu’en tant qu’artiste martial professionnel, je devais rechercher dans ma pratique pour approfondir mes techniques et mes connaissances martiales. Il traduisait cela comme une quête personnelle, un cheminement propre à chaque individu et difficilement partageable. Cette recherche, il me disait, ne doit jamais s’arrêter : elle est le moteur de notre progression.

Pendant des années, j’ai exploré, expérimenté et affiné mon entraînement pour améliorer mes kihon (techniques de base) et mes kata. J’ai cherché pour mon propre corps l’équilibre idéal entre puissance, vitesse, fluidité et ancrage. Car ce qui fonctionne pour l’un ne fonctionne pas forcément pour l’autre : chaque pratiquant doit adapter son art à sa propre morphologie, à ses propres capacités. Mon rôle, en tant qu’enseignant, n’est pas d’imposer une forme figée, mais d’aider mes élèves à découvrir leur propre Shin-Gi-Tai (心技体) – l’union de l’esprit, de la technique et du corps.
Mais la technique seule ne suffit pas. J’ai également consacré de nombreuses années à la pratique du combat, cherchant à comprendre ce que signifie réellement appliquer un art martial dans une situation de confrontation. Le combat m’a permis d’éprouver mes techniques, de tester leur efficacité dans un cadre dynamique, sous la pression, face à des partenaires aux styles et aux réactions variés. Il m’a appris l’importance du timing, de la distance, de la prise de décision en un instant, et surtout, il m’a permis d’acquérir l’expérience nécessaire pour enseigner l’art de la protection.
Car un pratiquant qui ne se confronte jamais au combat reste dans la théorie. Un enseignant qui n’a jamais ressenti l’intensité d’un échange réel ne peut pleinement comprendre ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et pourquoi. Mon rôle n’est pas seulement de transmettre des formes figées, mais de permettre à mes élèves de développer un art vivant, efficace et adapté à leur propre réalité.
Mais la recherche ne doit pas être égoïste. Aujourd’hui, je pense qu’un enseignant, qu’il soit professionnel ou non, a aussi le devoir de rechercher pour ses élèves. Non seulement pour les aider à progresser techniquement, mais aussi pour leur transmettre une maturité d’esprit, un état d’ouverture qui leur permettra, un jour, de mener leurs propres explorations et de hisser leur art à un niveau supérieur. Car le cycle de la transmission ne s’arrête jamais.
Un élève, au fil du temps, grimpe sur les épaules de son maître. Mon maître m’a permis d’avancer en me portant durant plus de 30 ans, et aujourd’hui, mon travail est d’aider mes élèves à monter encore plus haut. Mon rôle n’est pas seulement de leur enseigner des techniques, mais aussi de leur donner les clés pour comprendre, pour expérimenter par eux-mêmes, pour questionner sans cesse leur pratique. Car celui qui pense avoir atteint un niveau a déjà cessé de progresser.
Dans mon Dojo Bujinkai Strasbourg, j’apporte à mes élèves des années de réflexion, d’étude et de travail personnel, pour qu’ils développent de meilleures sensations physiques (ancrage, vitesse, relâchement…) et une plus grande précision technique (gestuelle, positionnement, alignement…). Mais l’enseignement ne consiste pas à imposer une seule vision, il s’agit d’ouvrir des portes. Je veux que mes élèves ne se contentent pas d’imiter, mais qu’ils comprennent.
L’humilité est la clé de cette recherche. Un esprit fermé ne peut pas apprendre. Un pratiquant qui croit tout savoir se prive lui-même de toute progression. La vraie quête martiale est une remise en question constante, une discipline où l’on avance même lorsque l’on croit avoir atteint un sommet, car chaque sommet cache une nouvelle montagne à gravir.
Telle est la voie de la recherche, le Kyū-dō.