Karate no Hi – Le jour du Karate / 25 Octobre 1936
Le 02/10/2019
C’est depuis 2005 que la Préfecture d’Okinawa a décidé que le 25 octobre sera officiellement le jour du karate. Pourquoi le 25 Octobre est-il devenu le jour du karate ?
Il faut pour cela remonter dans le temps et revenir en 1936 sur l’Ile d’Okinawa et plus précisément le 25 Octobre 1936. Ce jour là, à l’initiative de Monsieur Genwa NAKASONE et sous le patronage du journal RyuKyu Shimpo, des experts en Uchinaa Dee (Okinawa Te) se sont retrouvés autour d’une table pour discuter de 2 sujets importants. Le premier thème concernait l’écriture du mot KARATE et le second et non des moindre concernait le développement du karate en dehors d’Okinawa.
Qui étaient ces experts présents à cette réunion ?
Les experts présents à cette réunion étaient : Chojun MIYAGI Shinshii, Choki MOTOBU Shinshii, KIYAN Chotoku Shinshii, HANASHIRO Chomo Shinshii, Choshin CHIBANA Shinshii, Juhatsu KIYODA Shinshii, Shinpan SHIROMA Shinshii.
La photo ci-contre a été prise en 1937 et représente les membres de la toute nouvelle organisation de karaté d’Okinawa nommée Shinkokai. On retrouve les maîtres qui ont joué un rôle important lors de la réunion du 25 octobre 1936, à savoir (assis à partir de la gauche), Shinshii KYAN, Shinshii YABU, Shinshii HANASHIRO, Shinshii MIYAGI, (debout à partir de la gauche) Shinshii SHIROMA, Shinshii MAESHIRO, Shinshii CHIBANA et M NAKASONE.
Il faut noter que tous ces Maîtres (ou Shinshii en Uchinaa Guchi / Langue d’Okinawa) ont vécu entre deux siècles, le XIXè et le XXè siècle. Reconnus à Okinawa dans leur domaine, ils ont en 1936 entre 50 et 70 ans.
Sous la supervision du Ministère de l’Education, du Ministère des Armées, de la Police et de la Préfecture d’Okinawa, les experts ont donné leurs avis sur la manière dont serait écrit le mot KARATE. Il faut savoir qu’avant cette réunion, il n’y avait pas d’écriture officielle car on dénommait le KARATE avec TODE (Main de Chine), RyuKyu Te (Main du Royaume des RuyKyu) ou tout simplement TE ou Tii en langue d’Okinawa. Tous désignaient les techniques de combat à mains nues qui se pratiquaient dans le Royaume des RyuKyu depuis des temps très anciens (8è – 9è siècles selon certains maîtres du Shuri Te).
Mais, les experts ont compris que la standardisation de l’écriture du mot KARATE servirait à son développement et qu’étant donné la période*, ils ne pouvaient plus continuer à dénommer leur art TODE (ou KARATE) 唐手, qui signifie “Main de Chine”. C’est pourquoi ils ont tous donné leur accord, tacite ou explicite, pour changer le caractère 唐 en 空 qui signifie “vide”. C’est ainsi que le mot 空手 s’écrit depuis “Main Vide”.
La réunion des experts du 25 Octobre 1936 est intéressante sous un autre aspect. Depuis les années 30, la littérature a donné la paternité du mot 空手 à Gichin FUNAKOSHI, le fondateur du SHOTOKAN. Or, la transcription des interventions des experts durant la réunion nous apprend que Chomo HANASHIRO Shinshii utilisa le mot 空手 dans le titre de son article sur le combat “空手 の 組手” en 1905, bien avant les premiers écrits de Funakoshi Gichin. Ce détail a beaucoup d’importance car cela fait de Chomo HANASHIRO Shinshii, qui fut élève de Bushi Sokon MATSUMURA, le vrai “père” du mot 空手. Pendant des décennies, les japonais avaient effacé volontairement l’intervention de Chomo HANASHIRO Shinshii, peut-être dans le but de développer un art martial à mains nues purement japonais ? Difficile de le savoir avec certitude, mais cela pourrait expliquer le travail de “japonisation” des techniques et des kata réalisé par Gichin FUNAKOSHI lui-même. Cette hypothèse est en partie validée par l’intervention du représentant du Ministère des Armées,Monsieur Kitsuma FUKUSHIMA, qui propose de standardiser le nom des techniques et des kata en Japonais. A cela Chojun MIYAGI Shinshii s’oppose en disant que les kata anciens doivent rester tels quels et qu’il faudra créer de nouveaux kata pour le développement du karate au Japon. Il est clair que les experts ont voulu préserver l’héritage culturel que représentaient et représentent encore aujourd’hui les kata anciens et que changer leur nom revenait à faire disparaitre la culture, l’histoire d’Okinawa et le Tii qui en fait totalement partie.
L’intervention de MIYAGI Shinshii est importante car elle doit permettre à toutes les personnes qui pratiquent et souhaitent préserver le Karate traditionnel d’Okinawa, de réfléchir sur les origines de l’Art, sur Okinawa sa Culture et son Histoire. Cela est d’autant plus important que nous sommes loin, non seulement, physiquement mais aussi culturellement de cette île. Pourtant, nous devons, grâce au coeur et à l’esprit “心”, en être le plus proche possible car contrairement à ce que certains pourraient croire, nous ne pratiquons pas un “Karate d’Okinawa à la française” mais plutôt “un Karate d’Okinawa en France”. Commémorer le Jour du Karate, chaque année, est une manière d’être en harmonie avec Okinawa, en harmonie avec nos origines mais surtout montrer du respect et de l’humilité pour ces maîtres qui nous ont légué cet héritage.
Au delà du mot, il est important pour notre génération de bien comprendre les valeurs et la philosophie contenues dans le “Tii”. Self-défense, compétition, sport, bien-être, combat professionnels… aujourd’hui le Karate est mis à toutes les sauces. D’où l’importance, de transmettre aux futures générations, les véritables valeurs du “Tii” qui pourraient les aider à être plus fort mentalement et physiquement et contribuer à rendre la société meilleure.
* Dans les années 1930, le Japon prépare l’invasion de la Manchourie et les relations avec la Chine sont très tendues.
Référence (en anglais) http://irkrs.blogspot.fr/2013/08/the-1936-meeting-of-okinawan-karate.html (Blog de Sensei Patrick Mc Carthy) sur la réunion de 1936.